Démocratie

Les chemins de la Décroissance

Une grande partie du mouvement s’accorde sur une stratégie de masse critique s’appuyant sur les 4 niveaux politiques de la Décroissance : la sphère privée, les alternatives collectives et concrètes, la pensée du projet de transition et de l’après-croissance et la visibilité. L’action combinée, dans le respect de cette diversité, permet d’atteindre un seuil critique de citoyens rendant possible l’accélération d’une transition qui est déjà en marche.

Détaillons brièvement ces quatre niveaux :

• Le niveau individuel : à travers la simplicité volontaire, chaque individu cherche à vivre en cohérence avec l’objection de croissance en diminuant son empreinte écologique et en s’impliquant dans l’économie sociale et solidaire. Il n’y a pas de « brevet du parfait petit décroissant », chacun fait ce qu’il peut en fonction de ses conditions de vie. Ce niveau reprend aussi la notion de décolonisation de l’imaginaire.
• Le niveau collectif : expérimenter d’autres manières de vivre ensemble, d’autres pratiques cohérentes avec les valeurs anticapitalistes et antiproductivistes. Ces alternatives concrètes permettent de « faire exemple », d’élargir le champ des possibles en développant des modes de production et de consommation qui pourront être repris et adaptés par d’autres collectifs, voire par les pouvoirs publics (notamment à l’échelon local).
En guise d’exemples d’alternatives concrètes soutenables et conviviales, nous pouvons citer les monnaies locales qui donnent du sens à l’échange ou les systèmes d’échanges locaux, les habitats coopératifs, les jardins partagés, la mise en place de ressourceries ou d’atelier-vélos. C’est aussi entreprendre au sein d’une SCOP autogérée, ou plus globalement initier un processus de « ville en transition » ou expérimenter la permaculture.
Ces alternatives, qui constituent un panel d’exemples, participent surtout à la prise d’indépendance de l’individu et de la communauté locale par rapport à la main invisible du marché ainsi qu’à la main plus directe de l’État. Elles sont de formidables outils d’expérimentation de ce que pourraient être des sociétés de Décroissance. Elles constituent le socle du changement. Elles sont sources d’inspiration, mais ne suffisent pas à elles seules.
• Le projet : les ouvrages, les conférences et les congrès ne manquent pas pour construire le projet de transition vers les sociétés de Décroissance. Comment vivre avec moins de pétrole ? Comment relocaliser ? Comment s’adapter aux villes déjà existantes ? Comment recréer du lien social ? Quelle culture, quelle école ? Pour résumer, comment faire une transition démocratique et sereine vers des sociétés soutenables et souhaitables de Décroissance en réfléchissant à ce qu’elles pourraient être.
• La visibilité : selon les talents des uns et des autres, les OC rendent visible la Décroissance à travers l’organisation de rencontres-débats, de manifestations traditionnelles, d’actions antipub ou de désobéissance civile, de passage dans les médias, de publications et la participation à des élections de manière non-électoraliste.
L’articulation entre ces différents niveaux est fondamentale et reste à construire. L’enjeu est bien de créer des liens, des passerelles et des solidarités entre ces différentes initiatives sans en privilégier une plus que l’autre.
Les problèmes sociaux et environnementaux de notre système ne pourront être résolus ni en ajustant quelques paramètres à la marge, ni par les seules démarches individuelles. Il faut agir collectivement et changer la société en s’appuyant sur ces quatre niveaux, chaque OC s’appropriant le chemin où il se sent le mieux. Il y a autant de chemins vers la Décroissance que d’objectrices et d’objecteurs de croissance. L’enjeu est d’arriver à cultiver cette diversité en construisant un réseau horizontal solidaire et autocritique de collectifs locaux et/ou thématiques.

Le but est de créer une convergence et de commencer à construire, expérimenter, ce que pourrait être demain des sociétés de Décroissance.
Notre stratégie politique s’inscrit dans une rupture avec l’illusion que, pour changer la société, il faudrait d’abord et obligatoirement prendre le pouvoir. Au contraire, nous pensons qu’il faut lutter contre les pouvoirs, commencer ici et maintenant, sans attendre. Toutefois, nous soutenons les Objecteurs de Croissance qui choisissent de promouvoir la Décroissance dans d’autres partis et mouvements politiques. Ces démarches sont complémentaires et s’inscrivent dans une stratégie à la fois de transition, partant de la société telle qu’elle existe aujourd’hui (système de parti, démocratie limité à son seul outil de représentativité), la prise de pouvoir peut être un outil temporaire de transition, et aussi de convergences. C’est pourquoi nous participons à des élections, avec une distance critique et même pour en dénoncer les limites. Nous travaillons régulièrement avec des partis et mouvements politiques de gauche et/ou écologistes. On retrouve d’ailleurs des OC actifs dans ces structures. Nous devons, sans rien nous interdire, essayer d’inventer, expérimenter et construire de nouvelles formes d’organisations politiques.

Si des changements sont déjà en cours, ils ne peuvent s’enraciner durablement qu’avec des citoyens engagés, impliqués et acteurs de leur propre vie. C’est pourquoi nous parlons de transition, partant de la situation psychologique, culturelle, sociale mais aussi institutionnelle et politique présente, transition qui ne peut être que démocratique. Aujourd’hui, des exemples issus de pays touchés par des plans d’austérités aux conséquences dévastatrices, confortent l’idée d’une convergence de cette récession subie vers la Décroissance choisie. Ainsi, Détroit est devenue un laboratoire de la transition vers le post-industrialisme après 25 ans de récession terrible. En Grèce, en Espagne ou en Hongrie par exemple, des citoyens poussés à bout par les plans d’austérité successifs rejoignent et s’approprient des alternatives concrètes initiées antérieurement par d’autres dans une logique de Décroissance.

L’enjeu est d’éviter d’avoir à subir tous les maux de cette récession, de ces plans d’austérité et d’initier le plus vite possible cette Décroissance choisie.

Extrait de « Un projet de Décroissance ».
Pages 30 à 35 http://www.projet-decroissance.net/

Vincent Liegey, Stéphane Madelaine, Christophe Ondet, Anne-Isabelle Veillot.
Co-auteurs d’ « Un projet de décroissance. Manifeste pour une dotation inconditionnelle d’autonomie » , préface de Paul Ariès. Les éditions Utopia