Relocalisations

Monnaie locale, activité politique locale

Une monnaie locale complémentaire (MLC) se situe à la croisée de deux problèmes politiques globaux : celui de la monnaie et celui des « alternatives ». Mais ce sont de « bons problèmes » et une MLC est une bonne façon pour les poser et les affronter : localement.

Monnaie – Une MLC n’est pour les citoyens qu’un moyen (économique) pour se réapproprier l’usage politique de la monnaie. Plutôt que de « faire contre » (résister, désobéir, s’indigner, certes, mais après ?), il s’agit plutôt de « faire avec » et de « faire pour ». Mixte d’expérimentation et d’espérance, une MLC est une « espérimentation » sociale et écologique qui ne s’enferme pas dans les réseaux de militants mais tisse de nouveaux liens entre utilisateurs, prestataires (commerçants, artisans, producteurs, associations) et institutions territoriales (qui n’ont aucune habitude de ces pratiques bottom-up), comment ? En explorant tout ce périmètre économique possible que permet le doublement de la richesse (puisque l’euro converti en MLC reste et s’ajoute à l’unité monétaire locale créée) : une autre consommation (puisqu’une MLC est « affectée »), une autre production (en utilisant partie du fonds de réserve à des fins d’investissements solidaires), une autre redistribution (en reliant des besoins insatisfaits avec des ressources inutilisées, par des partenariats originaux avec les institutions de l’ESS).

Locale – Il est fondamental qu’une MLC qui ne s’échange pas n’importe comment, ni pour n’importe quoi, ne s’échange pas non plus n’importe où. Si les miles ou les tickets-restaurant sont déjà des MC non locales, quels sont alors les intérêts politiques d’une MC « locale » ? 1/ La relocalisation des échanges économiques, par un « effet de protection », permet de rapprocher les activités de production, de transformation et de consommation. 2/ Par un « effet de label » (puisqu’une convention « éthique » encadre les échanges), tant les utilisateurs que les prestataires peuvent modifier leurs « modes d’échanges » : lenteur, anticipation, choix… 3/ Ecologiquement, une MLC est une « solution locale à une crise globale » (raccourcissement des trajets, critères « écologiques » inclus dans les conventions). 4/ La réappropriation citoyenne de la monnaie et de ses usages passe par une interrogation sur ce qu’est une « cité » pour ses citoyens. C’est pourquoi, sur le projet de la Mesure, pour tenir à la fois la dimension écologique et la dimension volontariste, nous préférons parler de « bassin de vie » ou d’« éco-territoire ».

Complémentaire – Dans quelle mesure une MLC vient-elle « compléter » l’euro ? Entre deux écueils – la carte de fidélité « commerciale » et le « monopoly éthique pour bobos écolos » – une MLC commence par être une monnaie « subsidiaire » : dans le périmètre « labellisé » de la MLC, un coupon d’échange prend la place de l’euro pour des échanges entre « associés », tous membres de l’association porteuse. Cette subsidiarité permet au projet non seulement d’exister sans attendre mais aussi de s’articuler à toute une série d’autres projets eux aussi « subsidiaires » : en matière de « consommation », les SELs, les Accorderies, les groupes de gratuités… et en matière d’« épargne », les CIGALES, la Nef… Faut-il s’empêcher de penser qu’un jour une monnaie locale puisse devenir stricto sensu une monnaie « alternative » (qui n’aurait alors plus aucun rapport avec l’euro) ? Ce qui suppose qu’ait été atteinte localement une « taille critique » (autant en prestataires qu’en utilisateurs), que tous les biens et services « de base » (?) puissent ainsi être satisfaits.

Parce qu’elle est « locale », une MLC est donc une activité politique doublement innovante : 1/ elle se place en position d’instituant (non par rejet de l’institué mais par critique permanente de l’institution et conscience continue des avantages et des dangers de l’institutionnalisation), ce qui entraîne des potentiels de réappropriation tant dans le rapport à la loi que dans celui aux institutions. 2/ En tant que projet de transition, c’est une démarche ascendante et citoyenne.

Michel Lepesant, co-fondateur de la Mesure, MLC du bassin de vie Romans/Bourg de Péage (26).

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